Posez une question à un entrepreneur né comme Ronald van Zetten et vous obtiendrez une analyse claire de ce qui ne va pas dans les rues commerçantes à l’heure actuelle. L’homme qui a donné une seconde vie à V&D en tant que plateforme web ne lâche pas l’idée d’ouvrir un magasin physique : « En ouvrir un quelque part en ville ? Je vais y réfléchir sérieusement. Nous vivons dans une époque fascinante ! »
Où les choses ont-elles mal tourné pour le secteur des grands magasins ?
« Dès le début, les grands magasins ont traversé le temps et l’espace. Ils ont mis des produits à la portée de personnes qui n’auraient pu les acheter autrement. Ils pouvaient importer et acheter de gros volumes. Cela a remporté pendant longtemps un franc succès. Mais avec l’arrivée des spécialistes, la gamme de produits proposés dans les grands magasins a perdu de son côté unique. Le marché s’est maintenant complètement inversé. Là où elle était vraiment axée sur l’offre, elle est maintenant axée sur la demande. Le client décide où acheter, à quel prix, et ce avec un service maximum. Dans le cas extrême, vous n’avez qu’à faire livrer vos achats gratuitement à votre domicile et vous pouvez les retourner sans frais. Nous n’aurions pas imaginé cela il y a 25 ans. Tout était alors axé sur l’efficacité, le rassemblement des produits et la création de l’offre la plus efficace possible. Les clients venaient malgré tout. Maintenant, nous vivons dans une ère marquée par l’individualisation massive. »
Les grands magasins ne peuvent-ils pas répondre à cela ?
« Faire du shopping de la manière que nous connaissons, venir découvrir des produits qu’on ne voyait nulle part ailleurs à des prix qu’on ne voyait nulle part ailleurs, c’est une fonction que les grands magasins n’exercent plus depuis longtemps. Comment peut-on encore captiver le client aujourd’hui ? Faut-il organiser des événements ? Pourquoi devraient-ils revenir ? L’expérience client devrait être la réponse. Mais qu’est-ce que l’expérience ? Un grand magasin offre pas mal d’expérience à travers l’exposition de tout ses articles, mais ce n’est pas vraiment quelque chose que l’on vit. L’horeca offre quant à lui une réelle expérience, mais une si grande surface ne peut pas être entièrement dédiée au secteur de la restauration, il en faut plus. Je trouve cependant que les Galeries Lafayette Champs-Élysées proposent une expérience intéressante. Il y a quelque chose là-bas qui fait que le magasin même est placé au premier plan et les marques à sa suite. »
Des possibilités existent donc bien ?
« Nous vivons dans une époque fascinante ! Nous sommes au cœur de la tempête et personne n’en connait l’issue. Aujourd’hui, on ne peut pas dire que les rues commerçantes se portent bien. Les villes doivent se voir attribuer une nouvelle fonction, mais c’est un processus qui dure depuis des années et qui manque de coordination. On laisse le marché libre fonctionner et c’est très bien, mais il existe aujourd’hui un surplus d’espace commercial et peut-être bientôt aussi une pénurie de personnel. Sans parler d’une concurrence invisible, mais qui possède pourtant 10 à 20 % du marché. Toutes ces voitures qui circulent… Ce monde complexe qui change si vite et en même temps si lentement par manque de coordination… Il n’y a pas de solutions évidentes. »
« Certains pensent alors : quand la crise sera passée, ça décollera de nouveau. Mais ce n’est pas le cas. Les clients préfèrent dépenser leur argent pour d’autres choses : les gens dépensent par exemple plus pour leurs smartphones. Il existe une économie collaborative qui vous permet de louer au lieu d’acheter. Les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus nécessairement acheter une voiture. Ce sont des développements fascinants. Regardez la croissance que connait le marché de la seconde main et du vintage avec, par exemple, United Wardrobe et Vinted. Nous avons lancé une plate-forme de micro-influenceurs appelée Frendz. La transparence des prix n’a jamais été aussi grande. Les gens cherchent la façon la moins chère d’obtenir le meilleur service. Le client est devenu un acheteur professionnel et monte les retailers les uns contre les autres. Quel est le prix, quelle est la garantie, la livraison est-elle gratuite, que disent les critiques… ? C’est sans précédent. »
Et dans ce contexte, vous investissez dans « l’ancienne » marque V&D. Quel est encore le potentiel de cette marque ?
« De nombreux clients regrettent encore toujours V&D. C’était confortable, convivial… Telle était sa fonction. Pour un grand nombre de personnes, c’était un point d’ancrage sûr. Nous avons acheté les droits de marque parce que V&D reste une marque réputée. L’image de l’entreprise était un peu terne et ennuyeuse, mais son chiffre d’affaires était encore supérieur à 600 millions d’euros. Je pense qu’Hudson’s Bay se serait déjà contenté de la moitié. Si vous accompagnez ce groupe cible plus âgé qui manque d’un tel point d’ancrage dans la ville, vous trouverez l’emplacement et la fonction d’un magasin. Cela représentait quand même une partie de votre vie, un vide qu’Hudson’s Bay n’a pas pu combler. Ces clients ont été très déçus lorsqu’ils ont découvert Hudson’s Bay. Le retailer visait un groupe cible plus jeune, mais celui-ci n’était pas au rendez-vous… Une marque comme V&D possède une grande valeur nostalgique, une expérience positive. S’il faut à nouveau créer quelque chose d’excitant, sous une forme différente, destiné à ces clients plus âgés : moi en tout cas j’y crois. Ce type de clients n’a pas disparu et que ce vide n’a pas été comblé. Implanter un tel magasin quelque part dans la ville et établir une collaboration avec les fournisseurs peut être très amusant. »
Qu’est-ce qui vous en empêche alors ? Vous possédez la marque…
« Eh bien, j’ai besoin de quelques fournisseurs supplémentaires… Nous allons d’abord attendre que la tempête soit passée et voir ce qu’il advient des bâtiments d’Hudson’s Bay. Les magasins physiques auront toujours du potentiel, mais vous devez alors apporter quelque chose qui plaira aux nouvelles générations. Faire davantage, mais toujours la même chose ne suffit pas. Je vais y réfléchir sérieusement dans les prochaines années. En effet, les fournisseurs ont aussi besoin de commercialiser leurs produits. Et je vois aussi les inconvénients majeurs des achats en ligne : les retours, l’inefficacité du flux continuel des camionnettes… Tout cela n’est pas très respectueux de l’environnement. De grands changements sont encore attendus dans les 10 prochaines années. Nous allons en effet regrouper les livraisons et utiliser des camionnettes électriques, mais cela reste un modèle inefficace. Ce n’est pas viable. Dans un magasin, vous choisissez, vous essayez, vous remettez le produit en rayon ou vous l’achetez et puis c’est fini. Il n’y a pas 40 % des clients qui reviennent le lendemain pour se faire rembourser. Il s’agit d’un avantage considérable. Vous pouvez regarder, comprendre, essayer, ressentir, combiner, discuter, vous recevez du service… »
Et comment cela se passe entre temps pour vd.nl ?
« Ça se passe plutôt bien. Pas encore assez bien, mais un peu mieux chaque jour. Nous ne sommes pas encore satisfaits à 100 % de l’offre, mais la plateforme enregistre pas mal de vente. Du côté non alimentaire, je veux voir de meilleurs produits et en plus grand nombre. Nous cherchons de nouveaux partenaires pour cela. Nous ne laissons pas entrer tout le monde : nous sommes un marché réglementé, nous voulons pouvoir offrir un certain degré d’exclusivité à nos partenaires. »
« Regardez, les retailers traditionnels ne sont pas très bons en ce qui concerne la vente en ligne. Vous êtes en présence d’une lourde structure de coûts fixes. Vous avez donc besoin d’un chiffre d’affaires important pour éviter une faillite. Ces acteurs sont ainsi frustrés par le fait que les acteurs en ligne présentent quant à eux une structure de coûts totalement différente, ce qui leur permet d’être très compétitifs sur le plan du prix et du service. Et les retailers traditionnels n’ont pas de réponse à cela. Je trouve ça très intéressant d’observer la manière dont bol.com et Coolblue se développent. Nous avons nous-mêmes acheté une plateforme de vente de chaussures et on en apprend beaucoup. D’ailleurs, le commerce social n’est pas non plus la poule aux œufs d’or : il permet d’atteindre un large public, mais ne rapporte pas beaucoup. Seuls quelques influenceurs arrivent à sortir leur épingle du jeu dans ce domaine. »
De Bijenkorf se porte bien et ce, aussi bien en ligne que hors ligne.
« Oui, ils ont réagi à temps. Ils sont passés de 12 à 7 magasins. Ils ont toujours occupé la meilleure place dans la ville et ils vendent des marques qui ne sont pas disponibles partout. Vous ne trouverez pas d’autre Gucci ou Prada à Utrecht. Les gens font confiance au Bijenkorf et apprécient son service. Son nom est connu, il bénéficie d’une bonne réputation et d’une clientèle avec un pouvoir d’achat suffisant. Le montant moyen des achats est élevé : plus de 120 euros. Cela constitue également un avantage pour leurs activités en ligne : si vous envoyez un pull à 240 euros, vous pouvez toujours en tirer quelque chose. La confiance est un facteur important et elle le deviendra encore plus. Beaucoup de gens ne se sentent pas en sécurité sur Internet. De nombreuses histoires de fraudes et d’escroqueries circulent. Vous n’achetez pas sur un site web douteux. Ce problème ne se pose pas avec De Bijenkorf ou V&D. Je crois fermement au pouvoir des marques fortes et qui jouissent d’une bonne réputation. »
Les « grands magasins » ont-ils encore un avenir ? Pour un acteur comme Hema ?
« La règle d’or est de rester pertinent. Le combat ne prendra pas fin si facilement. Il faut continuer à innover. La concurrence est très forte. Pour moi, Action et Kik sont aussi des grands magasins. C’est la “roue de la distribution” que vous voyez à l’œuvre ici. Je trouve qu’ils font vraiment quelque chose d’intéressant. Je leur tire mon chapeau. Mais mon grand favori reste quand même IKEA. C’est l’une des meilleures entreprises au monde depuis des années. S’en tenir à l’essentiel, maintenir des prix bas, innover… Ils rendent les produits spéciaux accessibles au grand public. C’est bien cela la fonction d’un tel magasin. Et leur collaboration avec Sonos, par exemple, c’est très bien vu. Je suis super enthousiaste à ce propos. Ils restent toujours très pertinents. Comme quoi c’est possible. »
Comment Ronald van Zetten voit-il l’avenir du secteur des grands magasins ?
« Si les grands magasins sont moins nombreux dans les très grandes villes, vous aurez toujours une fonction. C’est un peu la stratégie du Bijenkorf. Tout ce qui se trouve entre les deux va tout simplement disparaître. Le groupe fusionné Galeria Karstadt Kaufhof devra également se concentrer sur les grandes villes allemandes. C’est ce qui caractérise le comportement d’achat actuel, les gens font leurs courses à proximité, de sorte que la commodité passe avant tout. Mais le shopping comme loisir n’est possible que dans les très grandes villes. C’est là que ça se passe, et pas ailleurs. »
Croyez-vous encore toujours aux magasins ? Font-ils encore toujours battre votre cœur ?
« J’en suis fou ! C’est fascinant. Nous sommes en plein changement. Vous pouvez voir le côté négatif, mais aussi le positif. Le manque stimule la créativité. La grande question “de quoi notre avenir sera-t-il fait ? ” est sur la table de tous les conseils d’administration de tous les grands magasins du monde. Cet avenir est à ceux qui réussissent à se réinventer. »
Erik Van Heuven et Stefan Van Rompaey
– photo: RetailDetail –
Qui est Ronald van Zetten ?
« Monsieur Hema » a fait ses premiers pas dans le commerce de détail en tant que réassortisseur dans un supermarché. Après des études de marketing et de gestion d’entreprise, il a débuté dans le secteur non alimentaire, dans les enseignes de la chaîne de drogueries néerlandaise DA. Plus tard, il a travaillé chez Hema, Praxis et Albert Heijn, jusqu’à ce qu’on lui demande de prendre la tête d’Hema : il l’a fait de 2003 à 2015. Depuis 2016, Ronal Van Zetten est l’heureux copropriétaire de VD.nl avec les investisseurs Roland Kahn et Jaco Scheffers.
La vente en ligne reste un modèle inefficace