Au milieu du XIXe siècle, les premiers grands magasins ont provoqué une révolution majeure sur le marché belge du retail. Les pionniers ont d’abord connu un essor sans précédent, mais n’ont finalement pas pu faire face à l’arrivée des hypermarchés et des « category killer » dans les années 1960. Les plus grands acteurs ont tenté de se sauver en fusionnant. Aujourd’hui, il ne reste plus qu’une seule chaîne composée de 16 magasins : Galeria Inno dont les Allemands sont propriétaires.
Modernisation sans précédent
En Belgique aussi, l’ascension des grands magasins est une histoire fascinante peuplée de nombreux pionniers comme Maurice Cauwe (Grand Bazar d’Anvers), François Thiéry (Grands Magasins de la Bourse), Emile Bernheim (À l’Innovation), Auguste Tiriard (Galeries Anspach) et enfin François Vaxelaire (Au Bon Marché). Un certain nombre de ces fondateurs sont venus de France. À l’époque, les grands magasins parisiens à succès étaient considérés comme l’exemple édifiant d’une modernisation sans précédent du paysage commercial. Ces grands espaces de ventes ont permis d’offrir une gamme extrêmement variée de produits et ce à des prix imbattables, ce qui a porté un coup au commerce de détail traditionnel. Mais même les grands magasins ne semblent, à long terme, pas à l’abri du changement…
Nous allons reconstruire cette histoire fascinante avec l’aide de trois témoins clés : le baron Raymond Vaxelaire, ancien directeur général de l’Inno et arrière-petit-fils de François Vaxelaire (fondateur du Bon Marché, le premier grand magasin en Belgique) ; Emile Leemans, ancien directeur des achats de l’Inno et directeur général de P&C ; et enfin Claude Richez, ancien directeur commercial de l’Inno et pendant des années directeur général du Groupe GIB.
Le précurseur : Au Bon Marché
Les germes de la révolution du commerce de détail se trouvent rue Neuve dans la capitale bruxelloise en pleine expansion où l’entrepreneur français Jean-Nicolas Thiéry ouvre en 1845 un magasin de prêt-à-porter et de tissus appelé « Au Bon Marché », un nom de boutique très courant à l’époque. Il n’est devenu un grand magasin qu’après sa reprise par l’ambitieux alsacien François Vaxelaire (1840-1921) alors âgé de vingt ans. Il épouse ensuite Jeanne-Josèphe Claes qui fut la première vendeuse et caissière de l’entreprise. Il s’agit là d’un coup de maître à bien des égards.
« C’était intelligent », déclare Raymond Vaxelaire. « Un vrai commerçant n’est généralement pas un bon financier, et vice versa. Mais si vous réunissez un bon commerçant et un bon financier… ». La boutique est alors rebaptisée « Au Bon Marché Vaxelaire-Claes ». Le couple a imaginé un concept qui n’existait pas jusqu’alors : un magasin sans obligation d’achat ni de négociation de prix et dont les produits et les prix sont clairement affichés. Au Bon Marché, vous êtes en effet assuré d’obtenir les meilleurs prix.
La formule fonctionne. Au début du siècle, le couple avait déjà développé l’entreprise en une véritable chaîne de grands magasins possédant des succursales dans des villes telles que Lille, Charleroi, Nancy, Besançon, Épinal, Metz, Anvers et Bruges. Elle devient une véritable entreprise familiale développée par leurs fils Raymond et Georges et leur fille Raymonde, qui épousera le comte Yves du Monceau de Bergendael. Ce qui confère une touche de noblesse au Bon Marché.
Les succursales françaises sont vendues et la succursale bruxelloise située près du Jardin botanique se transforme année après année en un véritable palais de la vente d’une superficie de 23 000 mètres carrés, complétés par 10 000 mètres carrés d’ateliers et d’entrepôts. Au Bon Marché marque des points grâce à de grandes campagnes promotionnelles, des « crazy days », des soldes, des semaines à thème et bien sûr des vitrines décorées avec exubérance pour attirer les regards et les foules. À son apogée, l’entreprise ouvre même des magasins au Congo.
Mais le monde continue d’évoluer. Dans l’entre-deux-guerres, on assiste à l’émergence d’un nouveau type de concurrents : les magasins à prix uniques à l’instar des magasins américains « five sent stores ». L’exemple le plus célèbre est Sarma (Société Anonyme pour la Revente d’articles de Masse) fondée en 1928 par Jean-Baptiste Van Ghijsel de Meise (1885-1956). Raymond Vaxelaire réagit rapidement avec la création de la S.A. belge des Magasins Prisunic-Uniprix dont il ouvre plusieurs filiales à Bruxelles, Liège et Louvain. La rue Neuve devient le champ de bataille d’une véritable guerre des prix lorsque Sarma tout comme Prisunic y ouvrent des filiales. Peu après, un troisième concurrent arrive comme un chien dans un jeu de quilles…
Le visionnaire : Le Grand Bazar d’Anvers
Le Grand Bazar, situé sur la Groenplaats à Anvers où se trouve aujourd’hui l’hôtel Hilton, a été fondé en 1882 par le parisien Adolphe Kileman. Mais il faudra attendre le visionnaire Maurice Cauwe (1905 – 1985), un ingénieur commercial de Solvay, engagé en 1932 pour que le grand magasin atteigne son apogée. L’ingénieur pose les bases d’une révolution dans le monde de la distribution belge qui conduira finalement à la création du géant de la distribution, le groupe GIB.
Dans un premier temps, il a limité l’expansion des magasins en Flandre à la suite d’un accord avec les Galeries Anspach à Bruxelles et le Grand Bazar de la place Saint Lambert à Liège. Des succursales s’ouvrent donc à Merksem, Saint Nicolas, Turnhout, Courtrai… En 1948, Maurice Cauwe se rend pour la première fois aux États-Unis. Il y découvre les supermarchés et les hypermarchés, les gigantesques magasins en libre-service. Une nouvelle révolution est en marche dans le secteur du retail. En 1959, Maurice Cauwe ouvre son premier supermarché à Anvers, le plus grand de Belgique avec 1 450 mètres carrés. C’est le début de la chaîne GB. Delhaize avait déjà ouvert son premier supermarché libre-service (beaucoup plus petit) sur la place Flagey à Bruxelles en 1957.
En 1961, Maurice Cauwe ouvre également le tout premier hypermarché, le Super Bazar, sur le continent européen, dans la commune bruxelloise d’Auderghem. Un Hypermarché Carrefour s’y trouve toujours à l’heure actuelle. Le concept des grands magasins « tout sous le même toit » situés en périphériques et pourvus de grands parkings peut commencer à conquérir l’Europe. La force du concept est renforcée par la mise en place de concepts commerciaux complémentaires sur le même site : station-service, garage automobile, restaurants, magasins de bricolage et de jardinage…
Le génie commercial : À l’Innovation
En 1897, À l’Innovation est le dernier des trois grands magasins à ouvrir ses portes, et ce également rue Neuve à Bruxelles. Le nouveau venu s’installe juste à côté du magnifique Au Bon Marché que la famille Vaxelaire développe depuis près de 50 ans pour en faire un véritable temple de la mode.
À L’Innovation est une initiative des familles Meyer et Bernheim, des Juifs français qui, à cause de l’antisémitisme (l’affaire Dreyfus), se sont installés à Bruxelles, pas loin de Paris qui était alors la capitale européenne de la mode. Le nouveau grand magasin, initialement encore appelé « Bernheim & Frères », se distingue par sa politique de prix bas. Le succès est vite au rendez-vous et des filiales apparaissent à Liège, Verviers, Bruxelles chaussée d’Ixelles, Gand, Charleroi et Anvers.
Le fils Emile Bernheim commence à travailler à l’Innovation en 1901 à l’âge de 16 ans et devient célèbre en 1910 lorsque, avec son cousin Sam Meyer, il parvient à mettre en rayon les grandes marques de mode. Comme Maurice Cauwe, Emile Bernheim se rend souvent aux États-Unis en quête d’inspiration. Il ne craint rien et fait, par exemple, tout ce qu’il peut pour acheter ses rivaux, les Grands Magasins Léonhard Tietz afin de mettre la concurrence en difficulté.
Emile Bernheim travaillera à l’Inno pour de nombreuses années encore. En 1931, il fonde l’IADS, l’Association internationale de grands magasins qui existe toujours à Paris. Deux ans plus tard, en 1933, il fonde le grand magasin Priba (le nom fait référence aux prix bas). Le magasin discount, concurrent direct de Sarma et Prisunic, s’installe à son tour rue Neuve…
Le tournant : l’incendie
La concurrence féroce obligera Bernheim et Vaxelaire à fusionner un an après. La création de la filiale commune Uniprix-Priba devient réalité en 1932. Un rapprochement qui n’est qu’un évènement précurseur de ce qui est encore à venir. Un événement terrible va effectivement accélérer la consolidation du secteur. Il s’agit de l’énorme incendie de l’Inno rue Neuve en 1967 entrainant la mort de 251 personnes ! (voir encadré)
C’est un véritable drame humain. Mais l’incendie a aussi eu des conséquences économiques. La perte de sa filiale la plus importante (notamment à cause de l’échec de plusieurs projets internationaux) a aussi mis À l’Innovation en difficulté financière. En 1969, l’entreprise fusionne avec Au Bon Marché, donnant naissance à la société Inno-BM. Quelques années plus tard, celle-ci fusionne cette fois avec le Grand Bazar. Ainsi en 1974, les trois pionniers des grands magasins forment ensemble la société GB-Inno-BM rebaptisée par la suite groupe GIB. Les grands magasins ne constituent plus depuis longtemps déjà la branche la plus importante de cette holding. Le monde du commerce de détail a en effet radicalement changé. Ce sont les supermarchés et les hypermarchés qui mènent la danse, complétés plus tard par les magasins de bricolage (Brico) et les restaurants (Quick, Lunch Garden). Le début d’un véritable empire du commerce de détail qui allait devenir le plus grand employeur privé de Belgique.
Les grands magasins ne jouent qu’un rôle secondaire dans ce nouveau groupe. Après tout, les centres commerciaux sont les nouveaux grands magasins. Le groupe GIB a rapidement décidé de fermer Au Bon Marché ainsi qu’un grand nombre de Grands Bazars, et de rebaptiser l’ensemble des grands magasins restants : Innovation. Le détaillant se forge une solide réputation grâce aux prix les plus bas et à sa philosophie « acheter belge ».
Un changement d’orientation réussi
Le fait qu’Inno réussisse à se réinventer dans les difficiles années 80 et 90 est dû en grande partie à Raymond Vaxelaire qui prend la direction des grands magasins en 1988. Auparavant, il avait acquis de l’expérience sur le marché américain, chez Sears, puis chez Vroom et Dreesman aux Pays-Bas. « J’avais compris que les gens ne viennent pas en ville pour acheter des produits qu’on n’achète que deux fois dans sa vie. Le mobilier, l’éclairage et les appareils électroménagers étaient encore des départements importants dans le grand magasin à l’époque, mais les ventes avaient diminué. Nous devions donner plus de place à des gammes qui évoluaient davantage : parfumerie, textile, lingerie, jouets, livres. Les gens veulent découvrir quelque chose de nouveau à chacune de leurs visites. »
Il avait remarqué qu’une évolution s’opérait au niveau de la lingerie, celle-ci n’était plus considérée uniquement comme un produit purement fonctionnel, mais comme un véritable article de mode. « Lorsque j’ai pris la direction des grands magasins, j’ai décidé de déplacer le rayon lingerie au rez-de-chaussée et de l’agrandir à 1000 mètres carrés. On m’a traité de fou ! Mais ça a marché ! Inno a été sauvée par la lingerie. Et par la parfumerie, où nous avons supprimé les étalages traditionnels pour introduire le libre-service. Sur 20 % de surface en moins, nous avons généré 17 % de chiffre d’affaires en plus. Tout le monde est venu voir ça. »
Emile Leemans et Claude Richez jouent un rôle clé à cette période aux côtés de feu Roger Lommel, le charmant CEO de l’Inno à l’époque. Un trio en or : Leemans le stratège, Richez le seigneur de guerre pour l’opérationnel et Lommel le manager humain. Trois « chefs cachés ». Entre le 3 janvier 1996 et le 21 juin 2001, les effectifs (propres) de l’Inno seront réduits de 800 personnes, tandis que le chiffre d’affaires et la marge augmenteront. Néanmoins, du personnel supplémentaire est embauché. Emile Leemans intègre effectivement des modèles de concession et de vente en consignation (donc avec le personnel des fournisseurs) dans un système intelligent de « shop-in-shop », et ce pour un nombre limité de départements, mais néanmoins importants : maison, parfumerie, hommes, femmes, enfants… Les grandes marques de mode comme Benetton, Inwear/Matinique, Esprit, Mexx et la marque belge Mayerline ont pour la plupart débuté là-bas avant de se développer et de créer leur propre réseau de magasins. Claude Richez et Emile Leemans jouent un rôle clé dans la mise en œuvre de ces modèles au sein de l’entreprise Inno qui dépend fortement des syndicats. Le chiffre d’affaires et la rentabilité par mètre carré augmenteront sensiblement. L’Inno connaît à nouveau de bonnes années, ce qui suscite l’intérêt d’acheteurs étrangers.
Propriétaires étrangers
L’empire du groupe GIB ne durera pourtant pas. Après une vraie période de gloire dans les années 1970 et 1980, la holding perd de sa superbe. Les concurrents nationaux et étrangers viennent ronger leur part de marché. L’entreprise supporte des frais de personnel élevés et n’est pas assez agile pour répondre à l’évolution de l’environnement du commerce de détail. Les actionnaires décident de démanteler l’entreprise et de vendre chacune de ses parties séparément. Raymond Vaxelaire vend l’Inno en 2001 à la chaîne allemande de grands magasins Kaufhof qui faisait alors partie du groupe Metro. Il reste à bord en tant que Chief Integration Officer et se bat pour l’identité et la survie de la chaîne dans ce nouveau groupe. En 2004, l’Inno est rebaptisée Galeria Inno et en 2006, le baron Raymond Vaxelaire prend sa retraite.
Inno change ensuite de propriétaire à plusieurs reprises. Metro vend Kaufhof (Inno compris) en 2015 au canadien Hudson’s Bay Company qui entrera également sur le marché néerlandais après la faillite de V&D. Mais ce ne sera pas un succès : le groupe est contraint de transférer ses activités européennes dans une coentreprise avec son ennemi juré Karstadt, qui appartient à Signa Holding, le véhicule d’investissement de l’entrepreneur autrichien René Benko. Les conséquences à long terme de cette mégafusion ne sont pas claires aujourd’hui. Malgré la succession de différents propriétaires, Inno sait préserver son individualité. Jusqu’à présent, L’Inno a constitué une partie rentable du groupe, mais le retailer, par sa taille limitée de 16 magasins, n’est pas la priorité de l’investisseur. Malgré une histoire merveilleuse qui a commencé au 19e siècle, nous n’avons plus de grand magasin belge indépendant aujourd’hui et l’avenir semble plutôt incertain.
« Qui de mieux qu’une femme à la tête un grand magasin. »
Le baron Raymond Vaxelaire a dirigé les grands magasins Inno pendant 17 ans et a également acquis une grande expérience au niveau international dans ce secteur. S’il pense que les grands magasins ont encore un avenir ? « Je ne pense pas que l’heure des grands magasins ait déjà sonné, mais beaucoup de choses changent avec l’essor du commerce électronique et le rajeunissement du public. Ils doivent être plus accessibles et plus accueillants. Aujourd’hui dans toutes les villes, vous pouvez voir des chaînes innovantes de restauration rapide, mais de qualité, comme Le Pain Quotidien, Exki, Pistolet… Ce sont des endroits où les gens aiment se donner rendez-vous. Nos grands magasins n’ont pas répondu aux besoins des citadins. Il n’y a pratiquement plus aucun endroit dans toute la rue Neuve où les jeunes veulent se retrouver. Il manque quelque chose. »
Il fait référence au flagship store de Samsung sur les Champs-Élysées. « Vous pouvez tester de nouvelles technologies comme la réalité virtuelle. C’est là que les jeunes se retrouvent. Ou regardez les Galeries Lafayette qui proposent au rez-de-chaussée des marques qui attirent les jeunes. »
Il se souvient très bien de ce qui l’a attiré au grand magasin dans sa jeunesse. « Quand j’avais douze ou treize ans, j’aimais aller au rayon disques du Bon Marché. Il y avait un long comptoir pourvu de tourne-disques où l’on pouvait écouter les derniers titres. Ce département a toujours attiré beaucoup de monde. Je voulais devenir architecte et j’avais dessiné le plan de ce à quoi je pensais qu’un rayon de disques devait ressembler. Je l’ai montré à mon père, un homme charismatique, mais bien sûr, ma proposition n’a pas été retenue. Il venait d’engager l’architecte Pagani, décorateur des bateaux Riva, pour redessiner le département chaussures. Ça m’a beaucoup marqué. »
Son grand magasin préféré ? « Dans les années 80, c’était définitivement De Bijenkorf. Un grand magasin à taille humaine qui a investi dans une image incroyablement moderne. C’était la première fois que je voyais comment ils parvenaient à mettre en avant les marques d’une nouvelle manière, à chaque fois avec quelque chose à eux : avec leur propre marque “De Bij” qui correspondait bien à leur image. Ils l’avaient bien compris. »
La reprise d’Inno par Kaufhof a provoqué un petit choc culturel. « Le nouveau propriétaire souhaitait que les départements de mode soient agencés selon le style allemand, avec un grand rayon homme et un fort accent sur les marques de distributeurs. J’ai dit : ça ne marchera pas, notre clientèle est composée à 90 % de femmes, et nos clients achètent des marques. Mais ils ont tenu bon. Je leur ai donc suggéré que le magasin de Malines, que nous devions rénover pour en retirer l’amiante, soit entièrement conçu selon leur concept. La décision reviendrait ainsi au client. Cela s’est vite avéré être le cas. Le jouet allemand ne fonctionnait pas. Après tout, les voitures de police ici ne sont pas vertes. Les chaussures allemandes avec leurs bouts larges et ronds n’ont pas eu de succès. Seul le département parfumerie fonctionnait. Après six mois, ils ont dû admettre qu’ils ne comprenaient pas les Belges… »
De plus : « Les Allemands n’avaient pas une seule femme directrice de magasin. Nous en avions onze. Qui de mieux qu’une femme pour diriger des magasins. J’en étais fier. Dans notre famille aussi les femmes ont toujours été d’une importance capitale. C’était déjà me cas avec Jeanne-Josèphe Claes. »
Aujourd’hui, le Baron Vaxelaire se concentre sur la Fondation Emile Bernheim qui investit 2 millions d’euros par an dans divers projets. Il est également actif dans le secteur biologique : une ferme biologique d’une centaine de bœufs Limousin, 150 hectares de terres agricoles où sont cultivées d’anciennes variétés de blé et d’épeautre et 5 moulins en pierre à Buzin qui produisent 800 à 900 tonnes de farine biologique par an. Sans oublier un atelier de boulangerie qui vend environ 4 000 pains par jour, entre autres à la chaîne biologique Färm et d’autres plus petits magasins.
« Il y a vrai manque d’innovation »
« Si vous regardez l’Inno d’aujourd’hui, vous verrez très peu de différence avec l’Inno que nous avons vendu en 2001. Il y a un vrai manque d’innovation. C’est fatal », déclare Emile Leemans. La fusion entre Inno et BM, après l’incendie, ne s’est pas déroulée sans problèmes. Les deux entreprises avaient des cultures très différentes.
« Le Bon Marché était très promotionnel et encore très orienté XIXe siècle. L’Inno était au contraire à la pointe. » Emile Leemans et Claude Richez se souviennent d’Emile Bernheim comme d’un homme spécial, un visionnaire commercial. « Il a fait la renommée de l’Inno. Il a été le premier dans le secteur de la distribution à recruter du personnel ayant fait des études universitaires (ULB). C’était encore du jamais vu. Maurice Cauwe était aussi un visionnaire. Chaque année, il passait quatre à six semaines aux États-Unis. Il a inventé l’hypermarché, il a transposé l’inspiration des États-Unis en Belgique. C’était son plus bel exploit. Il s’est, entre autres, rendu à la compagnie américaine NCR où il a pioché ses idées. »
« J’avais beaucoup de respect pour François Vaxelaire et Maurice Cauwe. Et parce que j’ai remodelé les magasins à moindre prix, j’étais aussi respecté en retour », raconte Emile Leermans en riant. « Pierre Bolle était aussi un personnage clé, un protégé de Bernheim qui a progressivement pris le pouvoir à l’Inno, bien avant l’incendie. Il voulait “dépoussiérer” le conseil d’administration et donner leurs chances aux plus jeunes. Grâce à lui, l’Inno a ainsi pu être modernisé. Il a positionné le grand magasin plus haut sur le marché. »
Dramatique incendie
Le 22 mai 1967, le bâtiment de l’Innovation situé rue Neuve à Bruxelles est touché par le plus grand et le plus terrible incendie que la Belgique ait jamais connu : 251 morts, dont certains corps n’ont jamais été retrouvés, et 62 blessés. Le grand magasin était un véritable labyrinthe d’où il était difficile pour les clients de s’échapper. Par la suite, des mesures seront prises dans toute l’Europe pour améliorer la sécurité incendie dans les grands magasins. La cause de la catastrophe n’a jamais pu être déterminée, même si les théories à ce propos ne manquent pas.
Claude Richez, témoin oculaire du dramatique incendie de 1967, parle encore avec émotion de ce drame historique. Il fut alors chargé de préparer les importantes funérailles. Cela a demandé trois jours et trois nuits. Le 30 mai, un service œcuménique impressionnant eu aussi lieu dans la basilique de Koekelberg, en présence du roi. Le drame est encore commémoré chaque année au cimetière d’Evere.
Erik Van Heuven et Stefan Van Rompaey
– photo: RetailDetail –
À propos du projet
Avec la série d’interviews ‘The Future of Department Stores’, l’expert Erik Van Heuven et le journaliste Stefan Van Rompaey (RetailDetail) explorent le monde des grands magasins. Des discussions avec des investisseurs et des gestionnaires internationaux identifieront les défis et les opportunités pour ce secteur de détail. À l’ère numérique, les grands magasins ne sont en aucun cas un vestige du passé, mais l’exemple par excellence de la dimension ludique du retail. Les interviews apparaîtront sur les sites RetailDetail dans les mois à venir, dans RetailDetail Magazine, et aboutiront à un livre sur l’histoire et l’avenir des grands magasins en Europe.
En tant qu’ancien dirigeant de Galeria Inno et de Karstadt, entre autres, Erik Van Heuven connaît parfaitement le secteur. En tant que rédacteur en chef de RetailDetail, Stefan Van Rompaey suit les développements dans le secteur du commerce de détail depuis des décennies.