RetailDetail part à la découverte du monde des grands magasins en collaboration avec l’expert international du retail Erik Van Heuven. À travers une série d’interviews avec des managers de premier plan, nous allons tenter de mieux cerner les défis et opportunités que recèle ce secteur.
Le retail comme forme de divertissement
Les grands magasins font partie de notre ADN. Nous en avons tous visités en compagnie de nos parents ou de nos grands-parents quand nous étions petits. Voilà bien des décennies que les enfants, mais aussi les adultes, sont fascinés par les impressionnantes vitrines, véritables petites merveilles de merchandising visuel, et par le rayon jouets, évidemment ! L’exploration du fabuleux éventail de marques proposé par les plus beaux grands magasins du monde est l’exemple par excellence de la dimension ludique du retail. À l’ère du numérique, les grands magasins ne sont en aucun cas un vestige du passé. Bien au contraire. Ils continuent d’offrir une expérience de shopping passionnante et hautement qualitative à des millions de gens.
Les shoppers raffolent des grands magasins, et nos lecteurs certainement aussi. Quelle est l’histoire des grands noms actuels du secteur ? Quelle est la vision de leurs dirigeants et CEO ? Notre série d’interviews se propose de livrer à nos lecteurs un profil détaillé des grands acteurs mondiaux tout en illustrant la passion que les CEO et autres dirigeants vouent à leur métier, un métier en proie à de multiples défis. Vous trouverez déjà sur notre site une interview avec l’investisseur Italien Maurizio Borletti.
Centricité client
Le premier grand magasin d’Europe a sans doute été Le Bon Marché, inauguré à Paris en 1852 et transféré à la Rue de Sèvres en 1869. Les grands magasins sont une émanation des ‘passages’, espaces commerciaux que l’on trouvait aussi dans les villes du Benelux comme Rotterdam (Coolvest) et Bruxelles (les célèbres Galeries Saint-Hubert).
Émile Zola qualifia à l’époque les grands magasins de ‘cathédrales des temps modernes’. Et c’est vrai que dès le début, ces environnements merveilleux ont eu à cœur d’offrir aux shoppers une expérience d’une incomparable sensualité. On peut même dire que les grands magasins préfiguraient dès la fin du 19e siècle ce que Pine & Gilmore décriront beaucoup plus tard dans leur classique ‘The experience economy’ (1998). L’expérience n’est-elle pas souvent présentée aujourd’hui comme LA panacée, seule capable de garantir l’avenir du commerce physique ?
Jadis, ces fabuleux temples du shopping regorgeant de nouveautés inspiraient la nouvelle classe moyenne dans un cadre architectural d’une beauté à couper le souffle. Ce que nous appelons aujourd’hui la ‘centricité client’ allait déjà de soi dans les grands magasins de luxe.
Transformations majeures
Il va sans dire que les choses ont bien changé depuis l’avènement des grands magasins. On a vu la révolution des supermarchés et hypermarchés promettant ‘tout sous le même toit’ ; l’arrivée de category killers tels que Mediamarkt ou Toys R Us ; la tendance à l’intégration verticale, poussant certains grossistes de la mode comme Esprit et Benetton à se doter de leurs propres structures retail ; le développement des centres commerciaux ; sans oublier l’e-commerce et la révolution omnicanal…
Depuis les années 70, les grands magasins ont par conséquent connu des transformations majeures. Et cela continue aujourd’hui. Pour survivre à toutes ces évolutions disruptives, les grands magasins ont cherché leur salut dans différentes solutions, allant du ‘bon marché’ (marques de distributeurs) au ‘chic’ (grand luxe, avec des possibilités poussées de shopping personnalisé), se limitant souvent aux chaussures, à l’habillement, à la lingerie, aux parfums et à la maison au détriment d’autres catégories. Mais Zalando et de fantastiques concepts d’e-commerce comme Mytheresa.com leur donnent du fil à retordre.
Attrait touristique
Il semble bien que la solution se trouve dans le segment du luxe premium, lequel parvient à conjuguer environnement d’exception et service client hautement personnalisé. L’avenir de ces ‘cathédrales du shopping’ n’est toutefois assuré que dans les grandes métropoles mondiales en raison de leur attrait touristique. Pensez à Harrods et Selfridges à Londres, à KaDeWe à Berlin, aux Galeries Lafayette à Paris, au Corte Inglés à Madrid, etc. Ailleurs, elles font probablement face à une ‘mission impossible’. L’exception pourrait venir de ce que les Allemands appellent si joliment le ‘Platzhirsch’, c’est-à-dire un grand magasin historique ayant localement pignon sur rue et faisant partie intégrante du passé et du futur de la majorité des habitants. L&T (Lengermann & Trieschmann) à Osnabrück est un excellent exemple, et il en existe encore d’autres en Europe.
« Personnellement, j’aime la plupart des grands magasins, un peu comme un amateur de chiens apprécie aussi bien les chiens de race que les bâtards », déclare Erik Van Heuven. « La principale raison en est que chaque grand magasin fait partie de l’ADN de sa communauté locale, en dépit de l’internationalisation et de la mondialisation. Chaque grand magasin est chargé d’histoire. Lorsqu’un tel monument est contraint de fermer ses portes suite à une restructuration ou à une faillite, cela crée un énorme vide dans le paysage commercial et s’avère très douloureux pour de nombreux consommateurs qui gardent de bons souvenirs de leurs visites en compagnie de leurs enfants, de leurs parents ou de leurs grands-parents. J’en ai moi-même fait l’expérience : depuis la signature de mon premier contrat de travail avec Le Grand Bazar-Innovation-Bon Marché il y a une trentaine d’années de cela, mon amour des grands magasins n’a cessé de croître. J’aimerais aujourd’hui partager cette passion avec nos lecteurs à travers une série d’entretiens conduits avec les leaders européens du secteur, lesquels seront à terme compilés dans un ouvrage intitulé ‘A Love for Department Stores’. J’ai hâte ! »
À propos d’Erik Van Heuven
Au cours de sa carrière, l’entrepreneur flamand et expert international du retail Erik Van Heuven (56) a été un témoin privilégié des profonds changements qui ont bouleversé le secteur des grands magasins au Benelux et en Allemagne.
Il a débuté sa carrière chez GIB Group (‘Grand Bazar – Innovation – Bon Marché’) avant de devenir le CEO et l’administrateur de Galeria Inno et de l’entreprise allemande de chaussures HR Group. Durant la dernière décennie, il a essentiellement travaillé en Allemagne, entre autres chez Karstadt. Ces dernières années, il a eu l’occasion de constater à quel point les fonds internationaux de capital-risque ont transformé le secteur.
Souvenez-vous du rachat d’Inno par Kaufhof, alors membre de Metro Group Germany. Ou encore de la reprise de Karstadt Kompakt par les investisseurs Dawnay Day et Hilco Capital UK. De la relance de Karstadt par Berggruen Holdings US. Du rachat de V&D par SUN Capital à KKR. Et plus tard, de la reprise de Karstadt par Signa Holding, Autriche, et de l’acquisition de Kaufhof par Hudson’s Bay.
Erik connaît personnellement la plupart des acteurs clés du secteur et leur donnera voix au chapitre à travers notre série d’articles. Depuis la vente de HR Group aux groupes d’investissement Capiton et Ziylan en 2016, il dirige l’expansion européenne du groupe en tant que conseiller stratégique. À côté de cela, il accomplit différents mandats dans le retail via sa société Scorpio Consultancy Europe et est l’un des administrateurs de la PME anversoise Stoopen & Meeûs, un fabricant et distributeur de pigments et de peintures décoratives minérales.
Stefan Van Rompaey