De Bijenkorf mise sur l’effet de surprise et joue la carte du luxe tout en restant accessible. Un exercice d’équilibriste où chaque détail a son importance. Et qui s’étend aussi au webshop puisque les clients les plus précieux achètent aussi bien hors ligne qu’en ligne.
Un grand moment
Nous sommes chaleureusement accueillis au siège d’Amsterdam-Zuidoost. Le CEO Giovanni Colauto est un interlocuteur passionné et visiblement fier de l’entreprise qu’il dirige depuis six ans déjà. « Toutes les générations connaissent De Bijenkorf. Elles apprécient l’identité particulière de ce grand magasin, ainsi que l’élément de surprise. Quand j’étais enfant, ma tante m’emmenait souvent au Bijenkorf à Amsterdam avec le tram 24. C’était toujours une fête ! La boulangerie-pâtisserie m’a particulièrement marqué. Une visite à ce grand magasin était toujours un grand moment. »
Qu’est-ce qui fait la magie d’un grand magasin ? D’après Giovanni Colauto, c’est la combinaison d’un assortiment très diversifié de marques fortes et de beaux bâtiments. Les nombreux événements enrichissent l’expérience client, et puis il y a aussi le riche patrimoine de l’entreprise, son ADN. Pour rappel, De Bijenkorf existe depuis 1870. Notre interlocuteur sort alors en souriant un classeur d’un tiroir. ‘Future Vision’ pouvons-nous lire sur la couverture. C’est donc là qu’est exposée la stratégie d’avenir élaborée par le grand patron de De Bijenkorf.
Rester accessible
Le grand magasin possède actuellement sept filiales aux Pays-Bas, dont trois véritables magasins amiraux à Amsterdam, Rotterdam et La Haye. Ceux-ci ont pour écrin des bâtiments emblématiques qui sont régulièrement réaménagés et rénovés afin de rester à la hauteur des exigences élevées des clients. Cette tâche est à chaque fois confiée à des architectes différents ; ce ne sont donc pas des copies l’un de l’autre. « Nous tenons à chaque fois à créer quelque chose de singulier en fonction des besoins du bâtiment. L’objectif est d’émerveiller le client. À Amsterdam, nous avons ouvert un nouveau rayon de mode masculine, qui a été conçu par un autre architecte que le rez-de-chaussée. Le restaurant The Kitchen, au cinquième étage, a quant à lui été imaginé par le bureau d’architecture Concrete de Rob Wagemans. À Utrecht, le restaurant est l’œuvre des architectes d’intérieur i29 ; ce projet a été récompensé par un prix du design. À Rotterdam, nous avons récemment posé un nouveau revêtement de sol et étendu l’offre de marques de luxe. »
Au sein du groupe Selfridges, chaque grand magasin possède son identité propre et est libre de mener sa propre stratégie sous un dénominateur commun : l’offre d’une expérience de luxe aux clients. « La collaboration est bien entendu de mise : nous échangeons des idées et de l’inspiration, et avons plus facilement accès aux grandes marques. » Si Selfridges mène une stratégie premium plus prononcée – sans toutefois négliger le segment milieu de gamme – Giovanni Colauto préfère que De Bijenkorf reste accessible à un large public. « Nous accordons néanmoins une plus grande place aux marques de luxe, quitte à réduire la part du segment milieu de gamme. »
L’heure des choix
Le paysage des grands magasins aux Pays-Bas a beaucoup changé. Que pense le CEO de la concurrence ? « La faillite de V&D aurait pu être évitée. L’entreprise a simplement trop tardé à prendre des décisions, elle a raté le coche. Je veux par contre féliciter Hudson’s Bay pour son audace. Les magasins qu’ils ont ouverts chez nous se démarquent par leur style épuré. Le cadre est esthétiquement très réussi, mais l’offre n’est pas vraiment innovante ni différenciante. Je pense qu’il y a de la place sur le marché pour un grand magasin milieu de gamme, à condition que son concept soit justement différenciant. » V&D possédait un trop grand nombre de petits magasins, une formule qui ne fonctionne pas. De Bijenkorf a fait des choix clairs en la matière et réalise aujourd’hui un chiffre d’affaires plus élevé avec un nombre réduit de magasins. Quel est l’avis de notre interlocuteur à propos de vd.nl, la relance en ligne de la marque V&D ? « C’est une expérience intéressante. Il y a du potentiel. Un tel modèle de plate-forme est intéressant, mais pas évident à mettre en œuvre. Comment lui donner du contenu ? »
Il enchaîne en précisant que le volet en ligne de De Bijenkorf se porte lui aussi très bien. « L’e-commerce enregistre une croissance à deux chiffres et pèse aujourd’hui près de 200 millions d’euros, sur un chiffre d’affaires total d’environ 850 millions d’euros. Le webshop est en fait notre deuxième magasin en termes de revenus. Nous occupons la dixième place au Twinkle100, le classement des retailers en ligne aux Pays-Bas. Nous sommes même quatrièmes dans le domaine de la mode. Et nous sommes rentables ! Les affaires marchent aussi fort en Belgique. Le consommateur belge a bon goût et s’intéresse aux articles plus onéreux. »
Améliorer la conversion
Si l’e-commerce est encore considéré comme une menace par de nombreux autres grands magasins, c’est l’un des rayons de prédilection du CEO. « La conversion est toutefois plus faible en ligne que dans nos magasins. Nous y travaillons, en premier lieu en élargissant l’offre de marques. Nous proposons des marques de luxe, mais aussi Cos, Ted Baker ou Levi’s. Un deuxième axe est la pertinence. La moitié de nos visiteurs accèdent déjà à une page de destination personnalisée. Enfin, nous misons aussi fortement sur le fulfilment, la fonctionnalité. Nous sommes l’un des rares magasins à proposer la livraison gratuite de toutes les commandes sans montant minimal. C’est un USP capital. Si vous parvenez à maîtriser ces trois aspects, l’avenir est assuré. Je vois encore beaucoup de possibilités, aussi bien aux Pays-Bas qu’en Belgique. Nous nous appuyons sur des USP clairs. Un concurrent comme mytheresa.com se situe dans le haut du marché, alors que Zalando ne fait pas dans le luxe. »
L’app de De Bijenkorf a déjà été téléchargée un demi-million de fois et le programme de fidélité gère approximativement un million d’adresses. « Le shopper le plus précieux achète aussi bien hors ligne qu’en ligne. » Sur ce point, les indicateurs sont au vert pour la chaîne de grands magasins. « Nous mesurons une multitude de KPI, mais en fin de compte, ce sont les visiteurs et la conversion qui priment. Il faut intéresser et fidéliser les gens. Le nombre de visiteurs en magasins augmente. C’est une belle prestation. En ligne, la hausse est encore plus marquée. Notre marque attire donc beaucoup plus de clients. »
« À vous de faire vos preuves »
Quels sont les facteurs de succès du grand magasin selon le CEO ? « Il faut se démarquer, surprendre sans cesse les gens. Les shoppers ont envie d’être chouchoutés : saluez-les à l’entrée, prodiguez-leur des conseils, organisez des événements, et n’oubliez pas non plus la restauration… La convergence des canaux hors ligne et en ligne gagne en importance. Lorsqu’un article n’est pas en stock, il est livré à domicile le lendemain sans frais supplémentaires. Il faut soigner chaque détail. Notre slogan est ‘waar iedereen bijzonder is’. C’est ce sentiment que vous devez donner aux gens. »
Lorsque nous lui demandons quelle a été sa plus brillante idée en tant que CEO, Colauto n’a pas à réfléchir longtemps : « Ça a certainement été ma décision d’augmenter le budget de formation d’un million d’euros chaque année. Si vous n’investissez pas dans votre personnel, votre entreprise n’est qu’une coquille vide. Chez nous, les fonctions sont pourvues à 80 % en interne. Notre directeur créatif a commencé comme responsable du design de magasin avant de prendre la tête de l’équipe de construction et de gérer le département visual merchandising. Notre CFO a débuté en tant que contrôleur et est avec nous depuis 14 ans. Notre philosophie peut se résumer à ces mots : ‘À vous de faire vos preuves’. L’aspect humain est primordial dans le retail. »
Mais c’est aussi un secteur difficile. Quelle est la principale menace ? « De ne pas réagir assez rapidement au changement. Il faut faire preuve d’audace, de flexibilité et d’agilité. Dans le cas de V&D, c’est là que les choses ont mal tourné. Il faut continuer à évoluer avec le marché. Les consommateurs modernes sont avides de technologies et de nouveaux concepts. » Il est dès lors crucial de faire adhérer les collaborateurs à cette dynamique de changement. « C’est pourquoi nous investissons autant dans ce domaine. Nous voulons leur donner des perspectives d’évolution, leur témoigner notre confiance, les former. Ceux qui nous quittent contents deviennent des ambassadeurs de notre entreprise. »
Une histoire d’amour
Giovanni a-t-il des grands magasins favoris ? Absolument. « Le Bon Marché reste l’un de mes magasins préférés en raison du caractère français, de l’élégance et de l’ADN local. Il propose des marques fantastiques dans une belle architecture. Le food court me plaît aussi beaucoup. À Munich, Ludwig Beck est un grand magasin de plus petit format, évoquant plutôt l’univers des boutiques. On y trouve certaines marques exclusives. Et puis n’oublions pas Barneys et son ambiance urbaine toute new-yorkaise. Ce grand magasin possède une forte identité locale. Lorsque je voyage, pour affaires ou pour le plaisir, je visite toujours le grand magasin local. À quoi ressemble le bâtiment, comment l’intérieur est-il agencé ? Quelle est l’atmosphère, qui est le public ? Comment suis-je accueilli ? Breuninger à Düsseldorf est une réussite. Alsterhaus à Hambourg vaut aussi le détour. »
Bref, c’est une histoire d’amour. « Tout à fait. Surtout en raison de la richesse de l’ADN, de la splendeur et de l’histoire de ces lieux. Mais les grands magasins doivent aussi évoluer avec leur temps, comme le fait Selfridges. C’est possible. Chaque secteur peut être lucratif à condition de s’y prendre correctement et d’offrir quelque chose d’unique. Peu importe que vous soyez actif dans le secteur des grands magasins, des assurances ou des musées. Si votre concept est unique, le public sera au rendez-vous. La concurrence sur les prix n’entre en jeu que si votre concept est banal. » Le grand magasin est aussi un lieu intéressant pour travailler et évoluer, estime-t-il. « On y apprend beaucoup et vite. Regardez autour de vous, imprégnez-vous de l’ambiance, changez régulièrement de rayon et élargissez vos horizons. C’est ce que j’ai fait. »
Erik Van Heuven et Stefan Van Rompaey
– photo: RetailDetail –
Niveau de la Champions League
Après des études de finance, Giovanni Colauto a débuté sa carrière au sein du groupe commercial Hagemeyer. L’entreprise commercialisait à l’époque des marques telles que Sony et McCormick aux Pays-Bas et aux Antilles. En 1998, il rejoint le monde du retail chez Hij/Zij Mode, plus tard rebaptisée WE Fashion. « J’y étais responsable des finances et de la logistique. C’était une période difficile : H&M faisait son entrée sur le marché et nous étions actifs dans le segment milieu de gamme. » En 2001, il entre chez De Bijenkorf. « J’ai un peu eu l’impression d’accéder au niveau de la Champions League. Notre entreprise est formidablement singulière et offre un large assortiment de beaux produits. Nous avons connu la bulle Internet, ouvert des outlets et des magasins plus petits… ce ne sont pas les rebondissements qui ont manqué. » Giovanni a occupé diverses fonctions et a connu plusieurs propriétaires, parmi lesquels Vendex KBB et quelques fonds de capital-risque. Depuis la reprise du grand magasin par le groupe Selfridges en 2010, les choses ont beaucoup changé. La stratégie est à présent résolument axée sur l’expérience premium. Une stratégie que Giovanni Colauto a pu formuler et mettre en œuvre après sa nomination au poste de CEO en 2012.
La concurrence sur les prix n’entre en jeu que si votre concept est banal